Page:Acremant - Ces Dames aux chapeaux vert, 1922.djvu/233

Cette page n’a pas encore été corrigée
219
CES DAMES AUX CHAPEAUX VERTS

— Je vous dis qu’il se moquait de vous... Les yeux dans les yeux, Arlette lui répond :

— Vous mentez !

— Des excuses ! vous allez me faire des excuses, à genoux !

Elle lui a saisi le poignet et la brusque :

— Non, non, lâchez-moi... Je m’en irai... Je vois que je vous gêne... Jamais vous ne m’avez aimée... Vous n’entendrez plus parler de moi, je vous le jure...

— Partir ? ou irez-vous ?

Telcide ricane, mais ses lèvres tremblent de colère...

— Vous êtes une fille rebelle, mais je vous dompterai... Dès demain, je dirai à M. le Grand Doyen les injures dont vous m’avez couverte... Ce n’est pas le mariage qu’il vous faut, c’est une maison de correction...

Claquant la porte, Telcide est sortie... Sur la chaise, où elle est tombée, Arlette demeure, comme hébétée. Que s’est-il passé ? Elle n’en sait plus rien. Ses tempes bourdonnent. Dans le ciel, le nuage est passé. A nouveau l’éventail d’argent se déploie à ses pieds. Il semble qu’à son souffle s’évanouissent les soucis.

Le long des rayons de la lune des images s’agitent, des lutins dansent, qui descendent de la région mystérieuse des étoiles. Peu à peu les formes se précisent. Des yeux s’animent dans les visages. Les bras ont des gestes et les bouches ont des chansons. Un cortège pailleté, capricieux, ondoyant se déroule. Ce sont les midinettes parisiennes, dont les ateliers viennent de s’ouvrir comme des cages d’oiseaux. Elles sont jeunes et leur souplesse dit leur amour de la vie. Les doigts aux lèvres, elles ont des trésors de tendresse qu’elles dilapident royalement. Pour les baisers, ne sont-elles pas toutes milliardaires ? Comme le chemineau chemine, le trottin trottine. La hiérarchie du magasin n’existe plus, le rideau de fer baissé. Il arrive qu’au bonheur, les « premières » sont les dernières. Pour saisir la fortune, il suffit d’une « petite main ». Comme elles rient !

Manon, voici le soleil...