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CES DAMES AUX CHAPEAUX VERTS

— Honneur aux blanches ! C’est à vous de jouer.

— Est-ce que vous soufflez ? Telle est la réponse de sa partenaire…

— Un peu… quand je marche trop vite…

Pauvre M. Hyacinthe ! sa compréhension est toujours pénible. Un autre le trouverait ridicule. Marie, qui croit ses erreurs conscientes, le trouve spirituel.

— Quel enfant vous êtes ! il n’y a pas moyen de parler cinq minutes sérieusement avec vous !

— Comment ?

— Oui, oui, faites l’innocent… Vous aviez très bien entendu ce que je voulais dire… Lorsqu’on néglige de prendre, est-ce que vous « soufflez » le pion ?

— J’agirai selon votre convenance.

— Alors soufflons, soufflons….

— À la pensée de « souffler », Marie s’esclaffe. Les vieilles demoiselles s’amusent aussi facilement que les petits enfants !

Pendant que les deux joueurs conduisent leur partie, Arlette les observe. Elle semble tout entière à l’écriture de sa lettre. La tête appuyée sur la main gauche, elle les regarde entre ses doigts et les décrit à son frère :


Mon cher Jean.

La scène se passe de nos jours. Le décor représente une salle à manger bourgeoise avec, comme accessoires, une table, une pendule, trois vieilles filles (étiquetées Telcide, Rosalie, Jeanne), six chaises, tous objets datant de Louis-Philippe et portant bien la marque de leur époque. Les personnages sont Ulysse, qui n’est ni vieux beau, ni beau vieux, et Marie, oiselle perpétuellement effarouchée. Au lever du rideau, Ulysse et Marie sont fiancés, c’est à-dire qu’ils se trouvent du côté cour, le mariage devant les faire passer du côté jardin, — jardin de délices, bien entendu. — Le public est représenté par moi. Public indulgent, plus qu’on ne pourrait le croire ! Il espère tant se transformer bientôt en artiste et monter lui-même sur la scène.

Je t’ai raconté, mon cher Jean, le rêve que j’ai fait. Comme je n’ai aucun secret pour toi, je t’ai dit mon amour pour Jacques. Cet amour est si fort qu’il brisera tous les obstacles. Pour l’instant, je n’en doute pas. J’écris « pour l’instant ». parce que, hélas ! je connais des heures de découragement. Si je t’avais près de moi, je serais toujours gaie. Mais, toute seule, je vis des minutes navrantes. De-