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CES DAMES AUX CHAPEAUX VERTS

d’un dîner, après des toasts… Vous avez changé votre robe pour une plus foncée… Et vous appuyez votre bras sur celui d’un guide que vous vous êtes choisi pour le voyage que vous entreprenez…

— Comment est-il ce guide ?

— Il est… il est jeune, il est empressé, il s’efforce de vous prouver sa reconnaissance, car tout son bonheur dépendait d’un « oui » de votre bouche. Il vous regarde tendrement. Dans ses yeux, il y a déjà le rayonnement des ciels merveilleux, qui demain vous feront rêver. Dans un bruit confus, vous entendez qu’on lui remet des adresses d’hôtels. On vous prie d’écrire souvent. On vous recommande de ne pas vous fatiguer. Quelqu’un vous crie : « Au revoir, madame… » Un compartiment vous est réservé… À votre compagnon, vous dites : « J’espère que nous n’avons rien oublié… » La locomotive siffle… Un jet de vapeur… « Messieurs les voyageurs, en voiture !… » Un bruit de plaques tournantes… Vous vous penchez à la portière pour agiter un mouchoir… Quand vous, vous retournez, deux bras vous enlacent et deux lèvres prennent les vôtres… C’est pour la vie, c’est vers le bonheur que vous faites ce voyage d’amour… N’est-ce pas Arlette, qu’elle est la plus jolie, l’horrible petite gare de notre vieille ville ?…

Jacques a prononcé cela avec une fantaisie émue et une tendresse caressante. La jeune fille n’a pas bougé. Elle n’a rien fait pour abandonner sa sauvegarde : la lumière. Mais l’ombre grandissante l’a gagnée et enveloppée. C’est comme si un oiseau protecteur avait étendu son aile dans les hauteurs entre la lune et la terre. Sa projection immense couvre la cathédrale :

— S’il arrive qu’un soir, soupire Arlette, je connaisse ce merveilleux départ, je serai infiniment heureuse…

Jacques, joyeux, enthousiaste, en appuyant contre ses lèvres la main brûlante de la jeune fille, conçoit aussitôt mille projets. Il n’est pas habitué aux obstacles. Il marche droit devant lui…

Mais Arlette est plus prudente. La griserie des phrases ensorceleuses n’a pas tué en elle la peur d’être