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CES DAMES AUX CHAPEAUX VERTS

— My love !

Et pourtant elle n’a pas aujourd’hui sa désinvolture coutumière. Elle est comme inquiète. À un certain moment, d’une chiquenaude, elle secoue une de ses fleurs. Les pétales lumineux tombent sur le tapis.

Lorsque son frère pousse la porte qu’alourdit une tenture, elle s’écrie :

— Ah ! enfin ! Je t’attendais avec une impatience !… Sans un mot, il enlève son manteau, qu’il jette au dossier d’une chaise. Il pose son chapeau sur la tête d’un Hercule de bronze, qui lance le disque sur une colonne de marbre :

— Eh bien ? demande-t-elle.

— Ma petite chérie, il y a des heures dans la vie…

— Oh ! non, dis ?… pas de phrases… la vérité !… qu’est-ce que t’a raconté le notaire ?

— Je vais te l’expliquer…

— Nous sommes ruinés… hein ?

De toutes les manières, Jean essaie de ménager l’émotion d’Arlette. Pour gagner du temps, il prend une cigarette dans un étui d’argent sur la cheminée. Mais il voit sa sœur si tremblante, ses yeux cherchent si anxieusement les siens, qu’il comprend que nulle certitude ne peut être plus terrible que cette attente pleine d’angoisse. De sa voix la plus douce, presque timidement, il prononce :

— Oui… nous sommes ruinés.

— Tout à fait ?

— Il ne nous reste rien.

— Ah !

Le regard perdu dans le ciel, elle est debout près de la fenêtre. Machinalement, elle froisse la fine mousseline des rideaux. Il est impossible de savoir si elle se roidit pour ne pas pleurer. Jean a posé la main sur son épaule pour qu’elle sente bien qu’elle n’est point seule dans ce malheur. Il respecte son silence…

— Il ne nous reste rien ?… Rien du tout ?

— Absolument rien !…

Elle se doutait un peu de cette catastrophe. Pour que leur père se suicidât, il fallait que la situation fût grave. Mais elle n’imaginait pas que le désastre serait aussi complet.