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CES DAMES AUX CHAPEAUX VERTS

— Nous allons maintenant acheter nos œufs, déclare-t-elle. Il m’en faut un quarteron et demi…

Cela fait, ces dames prennent la rue étroite qui sépare les deux places. Elles doivent franchir des ruisseaux, qui charrient des feuilles de choux, de la paille d’emballage, des débris de carottes. Et elles parviennent dans un second marché essentiellement différent. Ici ce ne sont plus les Flamandes cossues qui ont chevaux et voitures. Ce sont de modestes fermières aux joues rouges, qui présentent des poulets vivants qu’elles tiennent par les pattes, la tête en bas. Elles sont en cheveux avec un simple tablier sur leurs robes de cotonnade. Maraîchères, elles n’ont pour amener leurs lourds paniers de choux-fleurs et leurs sacs d’artichauts, qu’un petit baudet de louage.

Pendant que Jeanne fait ses acquisitions, Arlette taquine, à travers les barreaux de leur carriole, des petits porcs, qui grognent. Mais son attention est bientôt attirée par une puissante automobile, qui essaie, à grands coups de trompe, de se frayer un passage dans cette cohue :

— Ah ! par exemple ! Ferdinand… arrêtez…

Le chauffeur se retourne. Il reconnaît Arlette et stoppe. À la fenêtre de la voiture, paraît une jeune fille :

— Jessy !

Arlette et Jessy étaient, à Paris, des amies intimes. Elles s’étonnent de se retrouver ainsi. Jessy est avec sa mère :

— Que fais-tu dans ce village, ma chérie ?

— Tu sais le malheur qui est arrivé à mon pauvre papa. J’ai quitté Paris dans de si déplorables conditions que je n’ai écrit à personne. Ici je suis dans un béguinage…

— Comment, un béguinage ?

— C’est-à-dire que j’ai été recueillie par des cousines, ces demoiselles Davernis, des vieilles filles qui s’étagent de trente-cinq à soixante ans. Ce n’est pas très folichon !

— Oh ! mais… nous allons nous voir souvent !

— Comment cela ?

— Notre château de la Croix-Mauve n’est qu’à vingt-