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XII
MADAME LOUISE ACKERMANN

Mme Ackermann n’y songeait pas sans une sorte de frisson. Un soir, un homme qu’elle connaissait à peine s’était précipité chez elle, hors de lui, éperdu. Cet homme venait de lire les Malheureux. Il répétait : « Madame, oui ! n’est-ce pas ? nous avons souffert ! nous avons tant souffert ! Dieu nous en tiendra compte, n’est-ce pas ? »

Les années s’écoulaient paisibles dans la solitude que Mme Ackermann s’était choisie. Le calme lui venait doucement, — cette sorte d’atténuation qu’apporte le temps aux grandes douleurs, estompant un peu la poignante cruauté des souvenirs, et faite surtout de la sensation constante et de la certitude que chaque jour écoulé, chaque heure, nous rapproche du terme.

Lentement, rarement, quelque pièce s’ajoutait à celle des Malheureux. La brièveté et la fragilité de l’existence, l’âme et ses destinées, l’insensibilité de la nature environnante, la préoccupaient presque exclusivement.

Heureux, vous aspirez la grande âme invisible
Qui remplit tout, les bois, les champs de ses ardeurs ;
La Nature sourit, mais elle est insensible :
                Que lui font vos bonheurs ?