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EN MANIÈRE DE PRÉFACE

Le petit rhétoricien de province, qui, tout en rimant sur son pupitre d’étude des vers amoureux, laisse emporter son esprit par les réves les plus brillants de gloire littéraire, ne pense pas sans une humilité infinie à ceux dont la fortune a grandi et répandu les noms. Si audacieux qu’il soit réputé parmi ses camarades, il tremble cependant à considérer qu’un jour il pourrait peut-être parler à un académicien, à un journaliste puissant, à un acteur-sociétaire. Comme ils lui semblent peu accessibles, et au-dessus des autres hommes, ces romanciers, ces dramaturges et ces chroniqueurs dont il dévore les écrits en se cachant du pion, et comme Paris, où ils habitent, lui paraît plus loin que ce fameux Quimper-Corentin dont on amusa son enfance ! Le moindre rédacteur de la moindre feuille, même pornographique, acquiert à cette heure où s’unissent à l’imagination le désir et l’effroi, une estimable importance. Ignorances et craintes aussi puériles que charmantes, qui procurent au cerveau une fièvre plus bienfaisante et plus agréable que celle du baccalauréat ! Pourtant, les examens passés et la capitale atteinte, il s’aperçoit tout de suite, même s’il demeurait au bout de la France, qu’il n’y a entre ces célébrités diverses et lui-même que le prix d’un voyage en troisième classe, s’il est pauvre, en première, s’il est riche. Il suffit de flâner sur le boulevard, ou de traverser le pont des Arts à un certain moment de la journée, pour en voir quelques-unes, les frôler, les coudoyer, les bousculer si l’on y tient… Pour trente-cinq sous un fiacre mènerait à leur porte… trente-cinq sous ! on entrerait chez eux, on causerait avec eux, on leur toucherait