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parler de La Tour de Nesle. On l’a reprise, l’autre semaine, et j’y avais ri follement, irritant même un spectateur grinchu. J’avais regretté bientôt ma gaieté, car tous, autour de moi, en louaient la solide facture, et je le confessais à M. Capus. Inappréciable bonheur ! il partageait mon sentiment.

— Mais non, ce n’est pas une pièce bien faite ! s’écria-t-il. Elle est très mal faite, au contraire, et si elle eut, jadis, un si prodigieux succès, c’est simplement parce que le public d’alors apportait au théâtre une âme vierge et naïve. Il n’était pas exigeant, n’étant pas fatigué par l’abus du spectacle. On pouvait accumuler les choses les plus invraisemblables : il acceptait tout. Peu lui importait, par exemple, que les sentiments les plus contradictoires fussent réunis en un même moment dans le même individu. Si, pour la commodité de l’intrigue, un personnage devait être avare à la fois et prodigue, ou débauché et vertueux, il l’était, tout bonnement. Voyez Marguerite de Bourgogne : elle se livre, le soir, aux plus ignobles orgies, et, le matin, au Louvre, elle soupire d’amour platonique ; nul des spectateurs ne s’en étonnait... il y avait du mouvement, une action sans cesse rebondissante, et il n’en demandait pas plus... Seulement, comme la critique ne juge que par comparaison, elle s’appuie toujours pour démolir les œuvres du présent sur les œuvres du passé... C’est ainsi que, pour condamner les mélos d’aujourd’hui, elle porte aux nues les mélos d’autrefois. Ç’a tou-