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pourtant que je voudrais qu’elle parlât. Fille d’un prince roumain et d’une Grecque, que doit-elle à ce pays où règne Carmen Sylva, et qui, situé en Orient, demeure encore latin ? Ai-je pensé tout haut ? Je ne sais ; mais Mme  de Noailles a presque bondi et elle s’écrie :

— Ah ! vous croyiez que j’étais née en Roumanie, parce que je m’appelle Brancovan ? Mais non. Je suis née à Paris, aux alentours de l’Arc de Triomphe, et j’ai tout juste, à douze ans, passé une semaine au pays de mes ancêtres.

La voix baisse, s’adoucit :

— J’ai l’horreur des voyages, et le goût presque maniaque de l’habitude. Je suis un être de solitude, je m’épuise en imagination, et toute chose est pour moi si nombreuse et si riche qu’elle me suffit à elle seule. Ma vie privée m’est indifférente : je me suis détachée de toutes les obligations mondaines, je ne vais que chez des amis. Ma vie, qui est pauvre d’événements, s’écoule dans la pensée la plus violente, et mon âme est si passionnée qu’elle s’étend toujours au delà de moi-même. Et puis, j’ai trop l’angoisse de la rapidité du temps pour l’accroître encore en changeant de contrée.

— Alors, vous n’êtes pas de celles qui cherchent sous tous les cieux des aspects divers de la nature ?

— Non. N’importe quel coin du Bois de Boulogne me donne les idées les plus champêtres. Qu’est-ce que je connais ? Paris, où j’habite, la Seine-et-Oise où s’élève le château de ma belle-mère, la Haute-Savoie où tous les ans je vis trois