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journée : les dates, les rendez-vous et les heures pour les jeux sportifs, les jeux intellectuels et les jeux mondains. Une petite mention sèche, des chiffres, beaucoup de termes anglais, et voilà tout.

Un cahier, un carnet, et deux générations : l’une, éprise d’illusions, le cœur trop fragile, attardée à des plaisirs naïfs ; l’autre, éprise de grand air, de mouvement, de liberté, précise, raisonnante, le cœur naturellement en garde contre les surprises. Les jeunes filles d’aujourd’hui n’écrivent plus leur journal et se répandraient en moqueries presque indignées si on leur conseillait de se plier à une pareille tâche. Même les petites ont des distractions plus dignes de leur âge : elles collectionnent des signatures autographes ou des pensées qu’elles réclament aussi bien aux grands hommes de Paris qu’aux grands hommes d’arrondissement. Mme Desaulmin considérait tour à tour le cahier et le carnet, et, tandis qu’elle les considérait, une idée naissait dans son esprit. Elle la repoussa d’abord en haussant les épaules. Allait-elle céder au travers de nos contemporaines qui, dès quinze ans, se croiraient déshonorées si elles ne cachaient pas dans leurs cartons un livre de poèmes ou un roman, produit de leur imagination, de leur expérience et de leur labeur ? Écrire à cinquante ans, quelle démence ! Mais relire ce journal, l’arranger, l’ordonner, était-ce là écrire ? C’était seulement une récréation pour les soirées d’hiver, le moyen de ne pas s’ennuyer, presque une lecture avec des commentaires sur la marge du livre. D’ailleurs, qui le saurait ?… Et puis, si on le savait, plus tard, les petits-enfants liraient le journal, à la fois souriants et un pou ironiques : « Qu’elle était drôle, notre grand’mère ! » songeraient-ils, et peut-être tout de même lui accorderaient-ils une légère gratitude pour la peine qu’elle se serait donnée de raconter… ce qu’était jadis une jeune fille ingénue et sensible. Jadis, oui, jadis ; car il y aurait un temps où, parlant des premières années de la