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ont subi tout à coup un affaiblissement considérable. Le côté droit est resté intact. Je puis encore écrire, mais l’oculiste me recommande de ménager l’œil et, dans ces derniers temps, je me suis aperçu qu’il faiblissait à son tour. En hiver, j’écoute bourdonner mon feu. En été, je fais transporter mon fauteuil au fond de mon jardin, clos de murs tapissés de vignes et de volubilis, et je rêve à mes belles forêts des Vosges, à ma scierie, aux bonnes figures d’autrefois. Du reste, pas de souffrance. Vous avez parfaitement compris pourquoi je me suis retiré à Lunéville, derrière la grille de ma maison où je reçois de bien rares visites. C’est pour me dérober à la calomnie. On ne peut rien reprocher à celui qui se tait. C’est une grande satisfaction, cher monsieur Claretie, de n’avoir jamais manqué à ses devoirs ni envers soi-même, ni envers sa famille, ni envers sa patrie, et c’est la seule qui me reste au moment prochain sans doute de lever le pied pour entrer dans le grand inconnu.

Un an plus tard, il s’éteignit. Il mourait en pleine affaire Dreyfus, et, une seconde fois la proie des passions politiques, il était, sur son lit funèbre, couvert par les uns d’éloges et par les autres, d’injures.