s’emportait. Elle cherchait avec malice à maintenir les adversaires l’un contre l’autre, et feignant d’avoir été poussée, renversa une tasse de thé bouillant sur les chausses du kantiste pour faire diversion ; elle y réussit. Après qu’on se fut pardonné et essuyé, elle assura entendre le pas de l’héritier du Majorat, une nouvelle connaissance qu’elle avait faite le jour même, un jeune homme fort distingué qui venait de France, et qui par conséquent pourrait répondre sciemment aux questions qu’on venait de discuter.
À ces mots une main froide saisit celle de l’héritier du Majorat. Il tremblait de se voir entrer en personne ; il se sentait extrait de lui-même, et vidé comme un gant qu’on retire. À sa grande satisfaction, il ne vit rien s’asseoir sur la chaise qu’Esther lui apprêtait ; cependant son aspect paraissait inquiéter les autres membres de l’élégante compagnie ; et pendant qu’Esther lui faisait quelques politesses, ils prirent tous congé d’elle, les uns après les autres.
Lorsqu’ils se furent éloignés, Esther dit tout haut à la chaise vide :
— Vous m’avez dit très-brièvement que je n’étais pas ce que je paraissais être ; et moi je réponds à cela que vous non plus vous n’êtes pas ce que vous paraissez être.