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faire remarquer de lui. En effet, contrairement à son habitude, il suffit au comte d’un mot, d’une simple prière pour la décider à réciter devant lui quelques-uns des plus passionnés morceaux de Phèdre. Jamais elle n’avait aussi bien joué. Chacun épiait d’un air satisfait la physionomie du comte, comme pour lui dire :

— Auriez-vous jamais soupçonné un pareil talent en province ?

Mais le comte, distrait par la pensée de sa Mathilde, avec laquelle il avait vu cette pièce, ne pensa seulement pas à apprécier les beautés du jeu de Melück, il n’en remarqua que les défauts ; au lieu de l’enthousiasme que tout le monde s’attendait à lui voir manifester, il se contenta de formuler un vague compliment ; puis il lui fit remarquer certains passages qu’elle avait mal rendus, et la pria de les redire de nouveau ; mais tout cela avec un ton exquis de galanterie qui ne permettait pas qu’on s’offensât de ses observations. C’était quelque chose de nouveau pour elle d’être en face de ce jeune homme comme en face d’un maître. Elle essaya de prendre la chose en plaisantant, mais le comte parlait sérieusement ; il récita à son tour les mêmes morceaux, avec une chaleur, une justesse, une assurance telles, que Melück