compagnie et fait gracieusement les honneurs de son thé. Il y a des magistrats, des conseillers antiques, des militaires en uniforme, tous très-polis, très-cérémonieux, mais dont les visages rappellent ceux de personnes couchées depuis plusieurs années au cimetière de la ville, et dont les cartes d’invitation ont dû être copiées sur des épitaphes. C’est un raout de trépassés que donne Mlle Esther, qui elle-même ne jouit pas d’une existence bien certaine. Si vous restez à la fenêtre jusqu’à minuit, vous apercevrez avec une horreur secrète votre double qui vient prendra une tasse de ce thé funèbre. — N’allez pas non plus, lorsque vous vous échauffez à déclamer la Phèdre de Racine, jeter votre habit de taffetas bleu de ciel sur le dos d’un mannequin ; le mannequin croisera les bras, gardera l’habit, et vous serez obligé de vous sauver en chemise par les rues ; outre votre habit, on vous volera votre cœur, et vous n’entendrez plus battre sous votre poitrine le tic tac de la vie.
Ce qui caractérise surtout Achim d’Arnim, c’est son entière bonne foi, sa profonde conviction ; il raconte ses hallucinations comme des faits certains : aucun sourire moqueur ne vient vous mettre en garde, et les choses les plus incroyables sont dites d’un style simple, souvent enfantin et presque puéril ; il n’a pas la manie si commune aux Français d’expliquer son fantastique par quelque supercherie ou quelque tour de passe-passe : chez lui, le spectre est bien un spectre, et non pas un drap au bout d’une perche. Sa terreur n’est pas machinée, et ses apparitions rentrent dans les ténèbres sans avoir dit leur secret ; il sait les mystères de la tombe aussi bien qu’un fossoyeur, et la nuit, quand la lune est large à l’horizon, assis sur un monument funéraire, il passe sa lugubre revue de spectres avec le sang-froid d’un général d’année ; il loue celui-ci sur sa bonne tenue, et recommande à l’autre de ne pas laisser ainsi traîner son linceul ; il les connaît tous, et dit à chacun un petit mot amical.
Achim d’Arnim excelle dans la peinture de la pauvreté,