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LUC

l’état réel de son âme. Il se sentait tout pareil, tout près de ces êtres gâcheurs qui d’une ivresse réconfortante font une saoûlerie malsaine. Parce qu’il se sentait près d’eux, une grande pitié s’élevait en lui ; non pas la pitié qui méprise et délaisse, mais c-elle qui s’émeut et voudrait secourir.

Le contact des femmes ne lui avait encore révélé qu’une arrogance ou une servilité misérables ; la première n’étant qu’une dégénérescence normale de la seconde. Il lui fallait autre chose que les filles.

Depuis le premier maître qui meurtrit sa puérilité affectueuse en barrant le « Julien u libre et caressant de la maison paternelle pour lui substituer l’asservissement d’un « Bréard » étreint sous la casaque du collège — les hommes l’effrayaient par une lâcheté et une hypocrisie cyniques, servantes prostituées de leurs infimes appétits et de leurs intérêts mesquins. Autour de lui, de mignonnes et aimantes figures d’adolescents auxquels, adolescent, il avait cru pouvoir se lier, tôt s’étaient muées en quelconques garnements absorbés par les courses ineptes, le beuglant crapuleux et les gothons puantes des brasseries.

À l’Ecole des Beaux-Arts il n’eut même plus la douleur de sentir s’envoler ces espoirs. Des jeunes hommes venaient là, dont la plupart décelaient en leurs yeux, manifestaient sur leur visage la lumière intérieure de quelque chose de grand, l’empreinte d’une opiniâtre volonté, d’un génie prêt à se répandre hors le vase clos du front très beau. Et puis, oh ! et puis, le chahut avorteur des pensées délicates, la blague tyrannique et niveleuse fauchait les plus hautes pensées. Là encore Julien avait laissé se fondre la