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LUC

sent sous le faix prosaïque de la veille monotone et l’appréhension du médiocre lendemain !…

Et cela pouvait être, cela était !

Luc Aubry avait bien eu un moment la crainte que ses parents ne l’empêchassent d’accepter l’offre de « cette femme » ; mais l’adolescent se faisait peu à peu sérieux et décidé petit homme ; il était d’âge à connaître déjà quelque chose de la vie ; et d’ailleurs sa jeunesse même lui était une sauvegarde contre certains entraînements. «… Et puis quoi, enfin ? cette femme ne l’allait pas manger !… » Ce dernier argument d’une évidence assez nette avancé par M. Aubry, enleva le consentement de sa femme ; l’assurance du mari prévalut contre ses scrupules ; et Lucet obtint de se rendre à l’invitation de la grande Déah.


Luc prit la rue Saint-Lazare, le boulevard Haussmann et l’avenue de Messine pour gagner la rue Murillo où la comédienne habitait un original et coquet hôtel.

Tout le long du chemin il se récapitula les derniers jours. La résistance momentanée de ses parents, puis leur acquiescement le préoccupèrent. Il n’était donc plus un gamin ! Quelle transformation annonçait cette mise en liberté soudaine, ces égards, hommage inconscient rendu à l’état nouveau de son être inquiet, et charmé, et averti de choses, de choses dont le poids léger commençait à peser sur ses jeunes épaules et oppressait doucement sa chair ignorante ! De la nouveauté, à son insu, distillait en lui les troubles, les désirs et les craintes avec des joies et des tristesses, et toutes sortes de choses inexpliquées…