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LUC

M. Letourneur le vint enlever à Déah Swindor en s’excusant d’interrompre le court entretien qui, du reste, avait mis d’assez méchante humeur les bons camarades jaloux de la préférence accordée à ce « gamin ». Durey-Colbert le remplaça en courbant jusqu’à la main tendue de Déah sa belle barbe austère et grise d’où lui venait, avec la rosette minuscule de sa boutonnière, un air de grandeur rehaussé par l’absolue correction de son allure.

Ce parut être une gageure, l’arrivée de Lucet après le départ du tragédien. Le public s’amusa de la jeunesse du petit artiste et de l’aplomb dont, incrédule, il attendait la justification. Luc le justifia. Dès les premières mesures la salle fut enlevée. Sa voix étrange et troublante, d’une expression musicale comme meurtrie, n’eût-elle pas ému et subjugué hommes et femmes suspendus aux lèvres ardentes du petit virtuose, que son élégante jeunesse seule eût fait rapidement la conquête de l’auditoire.

Pour tous, à peu près, il n’était que le petit chanteur de l’église. Mais comme Jeannine le regardait ! stupéfaite soudain et ravie, troublée, de retrouver en ce jeune garçon, plus beau vraiment qu’elle-même et que toutes ses petites compagnes si bien pomponnées des cours, « son enfant de chœur » ! celui qui permettait en souriant de sa petite bouche rose et de ses dents blanches deux, trois, jusqu’à quatre brioches minuscules, le dimanche. Jeannine eut comme envie de pleurer ; ses yeux lui firent mal ; elle se pressa contre sa mère en un mouvement fébrile. Et sa mère vit la joie seule sans deviner la souffrance qui se glissait avec l’amour…