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LUC

proche… Ses moindres gestes décelaient les ravages opérés en lui par cette obsession… Jeannine ne put se méprendre à un changement si subit. Elle se fit plus câline et plus grave tout ensemble. Délicate et fine, elle devinait l’appréhension de ce retour, de cette rencontre fatale, inévitable, de l’époux avec celui — quelque charmant et gamin et aimé qu’il demeurât — qui fut l’amant !

Julien s’était enthousiasmé, et son affection, peut-être, demeurait entière pour Lucet ; mais une révolte s’opérait en lui, qui tenait au long asservissement à des préjugés ancestraux, sans doute aussi à l’acuité de ses sensations, à la morbidesse de ses sentiments poussés à l’extrême et conciliant mal une attirance avec une répulsion, inexplicables l’une et l’autre…

Il ne parlait jamais de ses angoisses, mais Nine en subissait tous les effets, sans se plaindre. Ah ! grand Dieu ! l’eût-elle pu faire qu’elle eût gardé quand même la dignité du silence comme la gratitude du cœur, comme la totalité de son amour pour l’époux. Mais elle sentait que, pour des mois encore, elle devait rester éloignée de Julien. La tristesse déchirante de cette situation la martyrisait. Et le souvenir du soir d’automne à Moult Plaisant et des soirs berceurs d’idéal de Venise, de Zara, de Corfou, de Syracuse venaient apporter à son âme de femme à peine dissemblable de son âme de jeune fille la douleur des regrets, le souvenir charmant de ce qui, maintenant, lui paraissait irrémédiablement perdu : le bonheur et l’amour…