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LUC

Et Luc, cependant, vit Jeannine sans qu’elle s’en aperçût. Il remarqua la contrariété inquiète de son visage. Il devina la phrase accueillante et discrète qui, modifiée maintenant, saluait autrefois sa venue. Luc vit Jeannine stupéfiée du changement de son enfant de chœur. Il rit tout seul à la place qu’il occupait depuis peu devant un des pupitres de la maîtrise ; la pensée lui vint d’appeler l’attention de sa petite amie en toussant un « hum ! » sonore, comme il faisait en classe pour dissimuler au professeur l’appel direct et parfaitement compris du camarade complice. Mais, comme l’officiant achevait la Préface, il lui fallut, sur un signe du maître de chapelle, M. Letourneur, quitter le rêve où l’entraînait la vue de Jeannine pour entonner le Sanctus. Son âme de gamin, pour la première fois peut-être, se souleva d’entre les choses de la terre, gonflée, cette âme jusque-là à peine existante, de tels sentiments de joie, de tendresse nouvelle, d’orgueil de se sentir enveloppée des frôlements d’une autre âme !… Une créature s’intéressait à lui sans qu’il eût rien fait pour cela que paraître ; une pensée inconnue communiquait un frisson aux fibres les plus délicates de sa chair… Il chanta ; et sa voix souple de mezzo-soprano, marquée déjà du timbre mélodieux et comme endolori de la virilité, s’épandit de la tribune haute sur la nef prostrée dans l’adoration muette de l’Hostie…

De sa bouche tiède sourdaient les ondes limpides où se venaient jeter les psaumes inarticulés des fidèles, vagues troublantes qui emportent dans la tempête apaisée des âmes, parmi les tremblants