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LUC

épousé, sa chose, sa femme ! Elle n’est pas à lui. Bon. Mais Luc Aubry lui appartient. Il lui appartient, ce jeune drôle, ce gamin des rues dont un jour les formes sculpturales ont emporté son admiration, et la jeune intelligence a conquis son amitié ! Ce vaurien joli, que laborieusement il a façonné et affiné, dont il a fait celui que les hommes envient et que les femmes désirent, — ce petit drôle est son bien.

Julien veut se donner la joie âpre et mauvaise de le briser, cet être exquis ; d’anéantir cette amitié sur laquelle, en des instants qui lui parurent des molécules d’éternité, ont fermenté la colère, la jalousie… et l’horreur de cette insinuation sournoise du charme de l’enfant, contre quoi Julien tremble dé ne trouver pas d’autre mot que : amour !… Mais il n’aime pas Lucet puisqu’il veut le haïr, puisqu’il l’envie aussi, — comme les autres hommes…

… Et Julien s’est assez torturé ; il a assez pleuré ; il va se venger… Il gravit à son tour les marches envahies de feuilles mortes. Violemment, il pousse la porte dont les attributs glorieux chantent victoire sur son cœur abîmé… Il franchit le boudoir et pénètre soudain dans la chambre de Luc. Luc s’étonne d’abord de ce bruit. Puis il a tout à coup conscience de la catastrophe inévitable en reconnaissant aux pas la présence de Julien. Comme tout à l’heure, haletant et joyeux, il interrogeait Nine, une seconde il appelle de sa jolie voix grave dans laquelle passe, en nuances d’infinie tristesse, l’affirmation angoissée qui d’avance dissipe le doute impossible :

— Julien… Julien… c’est vous, Julien !…

Il attend des cris ; il prévoit une lutte ; il veut