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LUC

Le jeune peintre n’eut aucune difficulté à démontrer que l’écriture paraissait suspecte, que le papier aussi, très riche mais d’un format trop commercial, démentait le bon goût de l’amoureuse correspondante, et qu’enfin cette adresse « poste restante » indiquait une habituée de ce genre d’épîtres dont il était inutile que Lucet augmentât la collection. Au fond Julien tremblait que son petit ami répondît à cette Lucy et qu’elle obtînt de sa jeune effervescence ce qu’elle demandait si clairement… Mais, pensa-t-il, mon éloquence a grande chance d’être inutile ; la brûlante correspondante n’en restera pas à cette première lettre, je ne serai pas toujours mis au courant des suivantes et Lucet fera ce qu’il voudra.

Julien tira d’un secrétaire des lettres à lui adressées lorsque fut exposé Daphnis et Chloé. Luc fut surpris de la quantité d’approbations, d’hommages, d’insultes, de sottises, de compliments, de discussions nés de ce parfait chef-d’œuvre. Encore Julien prit-il soin que Lucet n’aperçût pas celles où la méchanceté niaise de ses correspondants visait en particulier son gentil modèle !

Y en avait-il de ces lettres charmantes, douloureuses, spirituelles, mauvaises aussi, venimeuses ! Mais quand même, dans celles-ci, quelque souffrance montrant le bout de son aile meurtrie les faisait pardonner.

Et les papiers étaient tous différents, du papier à tourlourous amoureux et du vélin aristocratique, le papier anglais rigide et les hautes fantaisies gaufrées, coloriées et parfumées. Et le tout sobre, élégant, criard, sordide, modeste, endeuillé comme les signa-