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LUC

n’était cette absorption de son être pensant et souffrant par cet être dont les pensées répondent aux siennes comme un écho fidèle, Julien serait le plus misérable des hommes. Et c’est justice, se dit-il, que sa répulsion pour tout ce qui attire les autres, que la mise à l’index par lui de toutes les passions aguicheuses des appétits communs, ait sa répercussion lamentable et dolente en lui et torture l’affinité supra-sensibilisée de son âme !

Julien songe au présent tôt dissipé, à l’avenir qui se dérobe. Et dans la solitude de ce merveilleux atelier où demeure encore suspendu au grand chevalet et contenu en un cadre ruisselant d’or son Daphnis et Chloé, Julien n’a de pensée que pour Nine et pour Luc.

Il a pu, en n’accordant aux femmes que la surabondance de sa vigueur, sans amour, sans étreintes, résister à toutes, même à celles qui guettaient comme des louves en rut l’abandon passager de son jeune corps robuste, de ses lèvres tentatrices, et rester son maître et ne s’attacher qu’à ces deux enfants. Pour Nine, l’avenir n’a pas de secret, il sera ce qu’il lui plaira de le faire. Mais Lucet ? Maintenant que les désirs crient par tous les pores dilatés de son adolescence lasse de contenir ses ardeurs, combien de temps résistera-t-il ? s’il a résisté, seulement !… Et combien de fois devra Julien constater la fatigue délicieuse de ses yeux ; combien de fois le savoir loin de lui, en quelles compagnies ? combien de fois essuyer peut-être la pitié, peut-être l’indifférence, à la fin, de Luc pour l’affection vive dont il ne sait pas toujours contenir les chants désolés ?…