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suis meilleur que vous : au lieu de vous faire avaler ce poignard, je vous fournis le cheval, la nourriture et l’escorte. Plus tard, le gîte auquel vous avez droit, c’est encore moi qui vous l’offrirai.

Quand on fut à quelques douzaines de milles de l’hôtellerie de maître Innocent, et dans un pays où ne se montraient que des bandes détachées de l’armée impériale, Mathéus, pleinement rassuré, fit enlever les poires d’angoisse qui bâillonnaient ses prisonniers.

— À présent causons, dit-il à Renaud.

Renaud, qui avait eu le temps de mâcher sa colère et qui ne se sentait pas en humeur de discuter avec ce coquin, le toisa insolemment de la tête aux pieds, et faisant la moue :

— Mon bon, lui dit-il, vous êtes fort laid. Faites-vous raboter le visage pour commencer, nous verrons après.

Quelques hommes de l’escorte partirent d’un éclat de rire. Mathéus Orlscopp devint pourpre.

— Ah ! vous raillez ! s’écria-t-il. Nous verrons bien quelle figure vous ferez dans l’endroit où je vous mène !

— À Dieu ne plaise que j’en fasse une qui ressemble à la vôtre ! répondit froidement Renaud.

Dès ce moment ce fut un parti pris. La laideur de Mathéus devint le thème sur lequel M. de Chaufontaine exécutait des variations à l’infini. Il ne savait pas si Mathéus Orlscopp était plus laid le soir que le matin, à pied ou à cheval, à jeun ou après souper, à la clarté d’une chandelle ou à la lumière du soleil ; il pouvait se faire cependant qu’il fût plus mal bâti encore qu’il n’était laid. C’était un problème que Renaud n’avait pas encore résolu, et sur les incertitudes duquel sa verve ne tarissait pas.

— Votre Seigneurie, lui disait-il, a certainement le nez d’une belette, les yeux d’un hibou et le museau d’un bouc ; mais, en revanche, elle possède le corps d’un singe, les jambes