M. de Louvois n’était pas de ces hommes en qui le temps use la mémoire ; pour combattre et vaincre sa force, il fallait une force rivale ; la lutte pourrait dompter, sinon détruire sa haine. Belle-Rose se souvenait avec un trouble délicieux des émotions et des hasards de la guerre ; il voyait passer devant ses yeux l’image animée et bruyante des camps, il entendait hennir les chevaux et sonner les trompettes. L’armée était sa famille, et la guerre sa patrie. Il avait voulu conquérir par l’épée un nom et sa place au grand jour ; devait-il s’arrêter au début de sa carrière et se coucher dans l’oisiveté comme dans un linceul ? La Déroute se mordait les poings aux récits anticipés de cette guerre dont toutes les imaginations étaient préoccupées ; il estimait le sort des recrues le plus heureux du monde, et aurait donné de grand cœur sa hallebarde de sergent pour avoir le droit de marcher aux frontières ; Grippard faisait chorus avec la Déroute, oubliant qu’il avait quitté le régiment pour vivre de ses petites rentes. Quand la conversation tombait sur les campagnes, terrain qu’au demeurant elle n’abandonnait guère, Grippard se souvenait bien du froid qu’on souffre au bivouac, de la pluie et des marches forcées avec cinquante livres sur le dos, des biscaïens qui brisent les jambes, des boulets qui coupent le corps en deux, des coups de sabre et de la mitraille, de la faim qu’on endure ; mais il finissait toujours par trouver que la Déroute avait raison, et ne parlait rien moins que de conquérir le saint-empire. Belle-Rose et la Déroute, par un accord tacite, évitaient de causer ensemble sur ce chapitre-là ; ils redoutaient tous deux le choc de leurs impressions. Il en était de même entre Cornélius et Belle-Rose. Malgré son flegme naturel, l’Irlandais ne pouvait entendre parler de bataille sans frémir d’impatience ; son pays était engagé dans la cause de la France ; il était homme d’épée et le repos lui répugnait. Il y avait donc en ce moment-là, dans les murs de Sainte-Claire d’Ennery,
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