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– Peut-être vaut-il mieux, reprit-il, que ce soit moi qui parte, et toi qui restes. Je ne vaux rien, et tu as l’air d’un brave jeune homme… Le hasard a eu raison…

Le Hongrois se tut quelques minutes ; un tressaillement convulsif l’agita, et ses yeux se voilèrent ; tout à coup il les tourna vers Jacques, tout pleins d’un feu extraordinaire.

– Crois-tu qu’il y ait quelque chose là-haut ? lui dit-il en montrant le ciel du doigt.

– Il y a Dieu.

– Veux-tu me donner la main ?

Jacques tendit sa main au vieux soldat, qui la serra avec plus de vigueur qu’on ne pouvait en attendre d’un homme si cruellement blessé, puis il se renversa sur la paille, et ramena l’habit de Jacques sur lui. Au bout d’un moment, Jacques ne l’entendant plus ni parler ni se plaindre, se pencha vers lui.

– Comment vous trouvez-vous, mon capitaine ? lui dit-il.

– Moi, mon ami ? très bien.

Le regard était vif, le visage doucement coloré, la voix claire. Jacques se tut, pensant que l’officier hongrois voulait dormir. Quand on fut arrivé à l’ambulance, il souleva l’habit : l’officier hongrois était mort. Deux heures après, la troupe était réunie à l’abbaye de Saint-Georges, autour des tables préparées pour les ennemis. On riait de bon cœur et on mangeait de bon appétit. Si l’on plaignait les blessés, on oubliait les morts ; les vivants se félicitaient les uns les autres, et tout allait pour le mieux. M. d’Assonville conduisit Jacques dans une chambre de l’abbaye où une table était dressée.

– Assieds-toi là, lui dit-il.

– Moi ! près de vous ?

– Après le combat, il n’y a plus ni maître ni serviteur, il n’y a que des soldats. Assieds-toi, te dis-je, et conte-moi ton histoire.

M. d’Assonville n’était déjà plus le brillant officier