Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/43

Cette page n’a pas encore été corrigée

ou huit autres. Tout en marchant au milieu des cadavres, ses yeux tombèrent sur ses mains : elles étaient humides et rouges encore ; tout son corps frissonna. Quelle route allait-il donc suivre pour arriver jusqu’à Suzanne, et quelles sanglantes prémices son amour venait-il de lui offrir ? Jacques foulait en ce moment l’endroit où la mêlée avait été le plus furieuse, la terre était jonchée de morts ; au milieu des Hongrois étendus, ses regards vagues et distraits rencontrèrent un soldat qui, tombé à vingt pas de la Ternoise, cherchait à se rapprocher du rivage. Le Hongrois rampait sur les mains et les genoux, se traînait l’espace de quelques pieds, puis s’abattait. Jacques courut à lui et le souleva.

– De l’eau ! de l’eau ! dit le Hongrois, dont la face était souillée de sang coagulé ; de l’eau ! je brûle !

Jacques le transporta sur le bord de la Ternoise, et présenta à ses lèvres ardentes un chapeau rempli d’eau.

Le Hongrois trempa son visage dans cette eau froide et but avidement.

– J’ai du feu dans la gorge, et mes lèvres sont comme deux fers rouges, disait-il en léchant les bords humides du chapeau.

Jacques l’adossa contre un tronc d’arbre et lava son visage. Le Hongrois avait reçu un coup de sabre sur la tête et une balle dans le ventre. Quand la boue et le sang effacés laissèrent les traits à découvert, Jacques poussa un cri. Le blessé leva les yeux sur lui.

– Ah ! tu me reconnais à présent, dit-il avec un rire amer. Quand tu m’as soulevé, je n’ai rien dit, j’avais soif… maintenant, achève-moi si ça t’amuse.

– Oh ! fit Jacques avec une expression d’horreur.

– Parbleu ! c’est ton droit.

– Un droit d’assassin !

– Ah ! tu as de ces scrupules-là, toi ! à ton aise. Quant à moi, je n’y regarderai pas de si près, si quelque jour… Mais les tiens m’ont mis dans un trop piteux état