– Je n’en ai fait qu’une, mais elle en vaut mille.
– Laquelle ?
– J’ai tué Belle-Rose.
Grippard laissa tomber le verre qu’il tenait à sa bouche.
– Tu as tué Belle-Rose ! s’écria-t-il.
– Oh ! quand je dis tué, je n’en suis pas tout à fait sûr ; mais il doit être mort à l’heure qu’il est. Je lui ai mis une balle, tiens, là, ajouta Bouletord en appuyant le doigt sur le justaucorps de Grippard. Voilà ce qu’on gagne, continua Bouletord, qui prenait le silence de son camarade pour de l’admiration, voilà ce qu’on gagne à lutter contre nous autres. L’homme est à peu près mort et la femme a son affaire.
– Quelle femme ? demanda Grippard d’un petit air innocent.
– Eh ! parbleu ! Mme d’Albergotti. Elle est au couvent, celle-là.
– Quel couvent ?
– Ma foi, je n’en sais rien. C’est un couvent comme tous les couvents. Visitandines, ursulines ou bénédictines, qu’est-ce que ça fait ?
– C’est juste, fit Grippard.
Bouletord commençait à être gris : il quitta Mme d’Albergotti et retourna à Belle-Rose ; au bout d’un quart d’heure, il avait narré six fois l’histoire de son coup de fusil. C’était plus que Grippard n’en voulait apprendre ; il paya l’écot et courut chez Claudine.
Au récit que lui fit le pauvre soldat, Claudine faillit mourir de désespoir. Elle l’écoutait les yeux noyés de larmes, la poitrine haletante, le cœur oppressé ; vingt fois elle lui fit répéter le même discours et l’interrompait à tout instant par ses sanglots.
– Dieu me l’aura peut-être conservé, dit-elle enfin ; j’en aurai bientôt l’assurance.
– Que comptez-vous faire ?
– Partir pour l’Angleterre.