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lisé par des inconscients à cause de cette différence, il n’a pu s’empêcher de penser, en méprisant l’injustice de ses bourreaux : « Plus de vertu chez ceux à qui je dois le jour, et cette épreuve m’eût été épargnée… » Et voilà pourquoi, ayant regardé cette douleur en face, le moraliste chez Dumas conclut à la nécessité sociale de la vertu dans l’amour. Lorsqu’il a grandi et qu’il s’est trouvé lancé dans ce qu’il appelle le « paganisme de la vie moderne », il a de nouveau rencontré l’amour libre, prodiguant ses sourires, ses tentations, ses misères, et il a aussitôt senti la cruauté d’exploitation du demi-monde, exploitation de l’argent de l’homme, de son repos, de son honneur, par les Albertine de la Borde, et les Suzanne d’Ange d’une part, exploitation du cœur de la courtisane, quand elle en a un, par l’homme qui ne voit en elle qu’une machine à plaisir. Vous souvenez-vous des vers dans lesquels il a raconté le convoi de la Dame aux Camélias :


… Pauvre fille, on m’a dit qu’à votre heure dernière
Une main mercenaire avait fermé vos yeux
Et que, sur le chemin qui mène au cimetière
Vos amis d’autrefois étaient réduits à deux… ?


La femme et l’homme lui sont alors apparus, dans ces relations fantaisistes que l’on décore du joli nom de galanterie, comme deux ennemis armés, et comme deux ennemis encore dans ces relations plus romanesques que l’on décore du noble nom de passion. Il a diagnostiqué, de son même regard chirurgical, le microbe de haine et de douleur caché dans l’adultère aussi bien que dans la prostitution, et il a commencé, pour ne la finir qu’à la mort, cette cam-