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connu, vous venez de nous le dire. Mais vous l’avez rencontré, et le rencontrer, c’était ne pouvoir plus l’oublier. Vous vous rappelez certainement comme nous tous cette haute taille, cette carrure d’athlète, ce port altier, ce masque surtout, expressif et singulier, pétri d’intelligence et d’énergie, de gaieté virile et d’amertume cachée, d’ironie tout ensemble et de bonté, de sérénité courageuse et de mélancolie. Il y avait de tout cela dans ce profil accusé, avec son nez busqué, sa moustache hardie, son front éclairé de pensée, sa bouche à la fois indulgente et désenchantée, — et quel regard !… Ses yeux clairs, comme enchâssés dans des paupières un peu saillantes, avaient cette lucidité chirurgicale des grands médecins, des grands confesseurs et des grands hommes d’État. Il semblait qu’à travers tous les mensonges et aussi toutes les pudeurs, toutes les ignorances et toutes les duplicités, ce regard-là dût toujours percer jusqu’au fond l’être sur lequel il se posait et discerner dans l’âme le point malade, la plaie secrète à sonder et à guérir. Un je ne sais quoi de martial répandu sur toute sa personne disait que ce grand homme de théâtre avait dans les veines du sang d’homme de guerre, en même temps qu’une allure d’aristocratie native révélait un atavisme de grand seigneur chez ce courageux ouvrier de lettres qui avait commencé la vie en travaillant de sa plume pour gagner son pain. Ses cheveux, vaguement crêpelés autour de ses tempes, finissaient de dénoncer l’inattendu mélange de races qui avait contribué à produire cette créature extraordinaire. Il n’était pas seulement supérieur, il était à part. Vous avez prononcé à son occasion le mot de Parisien, et sans doute Dumas était