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exubérante, à l’imagination toujours fleurie, produisant avec l’abondance d’un bel arbre plein de sève, se dépensant avec l’insouciance d’un large fleuve qui croit son eau intarissable ; — et l’on admire davantage le puissant dramaturge possédant le don magique de passionner les foules, le merveilleux conteur dont les récits amusent et charment toujours et qui, en dépit de nos modes et de nos évolutions littéraires, demeure le plus populaire des romanciers.

Si les lois de l’atavisme étaient rigoureusement exactes, Alexandre Dumas fils aurait dû hériter de la fougue violente et immodérée de son aïeul, de l’inépuisable et insouciante prodigalité d’esprit de son père ; mais pour former notre tempérament et notre âme, il est d’autres facteurs que les lois obscures de l’hérédité ; il y a le milieu dans lequel nous sommes jetés, l’éducation reçue, la pression extérieure des nécessités de la vie. Toutes ces causes modifièrent singulièrement dans l’enfant les qualités ou les défauts de l’aïeul et du père ; elles les transformèrent comme certaines conditions atmosphériques font passer un corps de l’état gazeux à l’état solide. La vigueur physique du grand-père devint, chez le petit-fils, surtout intellectuelle ; le génie du père, moins bouillonnant mais aussi moins écumeux, s’endigua, eut un cours plus limpide et plus régulier. Le dernier des Dumas montra en outre une persistance de volonté, une sagacité et une pénétration que ni l’un ni l’autre de ses ascendants n’avaient connues. Dès le début, il avait fait une amère expérience de la vie ; les chocs de la réalité le meurtrirent précocement et, comme de durs marteaux, lui reforgèrent une âme.