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les conséquences, faites-y bien attention, sont aussi périlleuses à la moralité qu’au jugement, la critique scientifique seule est en état de le corriger. Cette même critique, en nous apprenant combien il nous est difficile d’atteindre la moindre parcelle de vérité, nous enseigne une salutaire méfiance de nous-mêmes, nous fait sentir le besoin de la collaboration des autres, et nous inspire pour ceux qui, dans les lieux les plus divers, travaillent à l’œuvre commune, de l’estime et de la sympathie ; car si rien ne divise les hommes comme la croyance où ils sont respectivement de posséder la vérité, rien ne les rapproche comme de la chercher en commun.

Mais la science, dans les milieux où elle est honorée et comprise, ne restreint pas aux savants eux-mêmes le bienfait moral qu’elle confère : elle répand dans des cercles de plus en plus étendus l’amour de la vérité et l’habitude de la chercher sans parti pris, de ne la reconnaître qu’à des preuves de bon aloi, et de se soumettre docilement à elle. Or, je ne crois pas qu’il y ait de vertu plus haute et plus féconde à inculquer à un peuple. Et, permettez-moi de le dire avec la franchise que me commandent les principes mêmes que je viens d’exposer, je ne crois pas qu’il y ait de peuple auquel il soit plus utile de l’inculquer que le nôtre. Est-ce tout à fait à tort qu’on nous accuse de laisser trop facilement prendre une injuste prédominance à la forme sur le fond, au sentiment sur la raison ; d’avoir des partis pris auxquels nous nous attachons en nous refusant à en examiner les bases ; de dédaigner l’exactitude, que nous traitons volontiers de pédantisme ; d’être complaisants aux illusions qui flattent