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un joueur à l’esprit duquel se présente une combinaison imprévue n’a pas de cesse qu’il ne l’ait mise à l’épreuve. Les grandes découvertes de Pasteur sont les fleurs et les fruits d’innombrables hypothèses, conçues avec enthousiasme, contrôlées ensuite avec une infatigable patience, abandonnées pour d’autres quand elles ne se montraient pas conciliables avec les faits.

Cette imagination toujours en travail aurait pu, en effet, être un danger pour lui et l’entraîner dans des spéculations hasardées, s’il n’avait toujours soumis ses idées à la critique rigoureuse qu’il savait si bien appliquer aux idées des autres. Dans les sciences qu’il a cultivées, la critique c’est l’expérimentation. Pasteur fut le génie même de l’expérimentation. On a loué avec raison la méthode qu’il y a appliquée, méthode tellement parfaite qu’elle élimine presque toutes les chances d’erreur. Mais la meilleure méthode n’est qu’un flambeau qui éclaire la route : elle ne mène au but que celui qui se fait son chemin. Pour être un grand expérimentateur il ne suffit pas de partir d’hypothèses qui soient d’accord avec la nature des choses ; il faut une étendue de vue, une intensité d’attention, une persévérance à l’abri des découragements, une obstination que rien ne rebute et une souplesse prête à toutes les volte-face, une suite et en même temps une mobilité dans les idées qui ne sont données qu’à peu d’hommes. Il faut tendre à la vérité des pièges toujours nouveaux, la capter dans des filets aussi subtils et aussi tenaces que les mailles invisibles où le forgeron divin surprit Aphrodite ; il faut l’épier sans se lasser, la deviner sous ses déguisements, la reconnaître au passage dans ses apparitions souvent fugaces, savoir inter-