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pas un qui se soit formé de son art une plus noble, — je dirais presque une plus religieuse idée, — ni dont l’œuvre, dès aujourd’hui, soit marquée plus évidemment au caractère de l’éternité. J’estime également avec vous, et je répète après vous, que s’il n’a jamais voulu mettre la foule dans la confidence des secrets de son cœur, ni, selon sa forte expression, « lui prostituer son âme », le dernier reproche que l’on puisse pourtant adresser à l’auteur du Manchy, de l’Illusion suprême, de la Fin de l’homme, de Caïn, c’est le reproche d’avoir manqué de sympathie pour la souffrance humaine....


Éden, ô le plus cher et le plus doux des songes,
Toi vers qui j’ai poussé d’inutiles sanglots,
Loin de tes murs sacrés éternellement clos,
La malédiction me balaye ; et tu plonges
Comme un soleil perdu dans l’abîme des flots !

Les flancs et les pieds nus, ma mère Héra s’enfonce
Dans l’âpre solitude où se dresse la faim,
Mourante, échevelée, elle succombe enfin,
Et dans un cri d’horreur enfante sur la ronce,
Ta victime, Iaveh! celui qui fut Caïn !

Ô nuit ! déchirements enflammés de la nue,
Cèdres déracinés, torrents, souffles hurleurs,
Ô lamentations de mon père, ô douleurs,
Ô remords ! vous avez accueilli ma venue,
Et ma mère a brûlé ma lèvre de ses pleurs.

Buvant avec son lait la terreur qui l’enivre,
À son côté gisant livide et sans abri,
La foudre a répondu seule à mon premier cri !
Celui qui m’engendra m’a reproché de vivre,
Celle qui m’a conçu ne m’a jamais souri !...