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varient en raison de la diversité et de la hiérarchie des esprits, et les œuvres d’art pèsent dans la balance d’un autre poids que cent millions d’almanachs démocratiques. J’aime à croire – puisse le rapprochement monstrueux m’être pardonné ! – que l’œuvre d’Homère comptera un peu plus tard dans la somme des efforts moraux de l’humanité que celle de Blanqui… Donnons notre vie pour nos idées politiques et sociales, mais ne leur sacrifions pas notre intelligence, qui est d’un prix bien autre que la vie ; car c’est grâce à elle que nous secouerons sur cette misérable terre la poussière de nos pieds pour monter à jamais dans les magnificences de la vie stellaire. »

Au moment où il écrivait cette lettre si belle et d’une raison si haute (septembre 1849), Leconte de Lisle luttait contre la misère. Le décret du gouvernement provisoire sur l’abolition de l’esclavage, ratifié par l’Assemblée nationale, avait eu pour conséquence une révolution économique dans les colonies. Les planteurs de Bourbon étaient à peu près ruinés. Le frère de Leconte de Lisle, chargé du domaine paternel, lui écrivit : « On m’a raconté je ne sais quelle histoire prétendant que tu t’es mis à la tête d’une manifestation de créoles en faveur de l’abolition de l’esclavage. Je t’estime incapable d’une pareille folie ». Leconte de Lisle répondit à son frère : « Toutes les fois que j’aurai à choisir entre des intérêts personnels et la justice, je choisirai la justice ».

À dater de ce jour, il cessa de recevoir la pension mensuelle que depuis son arrivée en France lui servait sa famille et qui lui assurait une existence indépendante. Leconte de Lisle n’en continua pas moins à vivre indépendant, mais