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belles créoles, et il y avait beaucoup de tendresse dans le cœur de Leconte de Lisle.

En 1843, Leconte de Lisle fut impérativement rappelé à Bourbon par son père. Il ne tarda pas à sentir la nostalgie de la France. La jeunesse dorée de la colonie, — « une ménagerie béotienne », disait-il, — ne parlait pas la même langue que lui. Intellectuellement, il était devenu un étranger dans son propre pays. C’était Ovide chez les Gètes :


Barbarus hic ego sum quia non intelligor illis !


À son ennui profond s’ajoutait le souci de discussions avec son père qui, le jugeant décidément incapable d’être avocat, voulait faire de lui un planteur. Leconte de Lisle, cela va sans dire, ne se voyait guère passant sa vie roi d’une plantation avec un rotin comme main de justice. Ses prières finirent par triompher de la volonté paternelle ; il se rembarqua pour la France. Au cours de cette dernière traversée, Leconte de Lisle relâcha à Sainte-Hélène. Il m’a souvent exprimé l’impression d’horreur et de morne tristesse qu’il en avait ressentie. « C’est, disait-il, comme un immense cercueil fixé au milieu de l’Océan. » Cet immense cercueil était fait à la taille du grand empereur que l’on y avait enfermé vivant.

Leconte de Lisle fut amené à Paris en 1845 par son ami Paul de Flotte, chevalier errant de la démocratie. Il y retrouva plusieurs créoles, entre autres le fouriériste Laverdan qui le présenta à Victor Considérant. Le jeune poète fut admis au nombre des rédacteurs ordinaires –