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que moi, d’autre épouse que moi, — et mes goûts seront tes goûts, et ma chambre sera ta chambre — et ma tombe sera ta tombe !… » Je ne crois pas qu’on ait jamais su parler avec un plus glacial effroi du mariage sans amour, de la vie à deux, enchaînée irrévocablement, au fond de quelque coin de province…

Son style, je voudrais n’en presque rien dire. À mesure qu’on avance dans son œuvre, on le trouve de plus en plus simple, clarifié, bref, incisif. Il n’emploie d’ailleurs, et il faut lui en savoir gré, que des mots français, ces vieux mots français qui suffisaient si bien à nos pères pour tout dire. Mais il semble qu’il ait dédaigné le style en lui-même, qu’il ne l’ait considéré que comme moyen et qu’alors il l’ait asservi comme tel. Et, l’asservir ainsi, c’était le comble de l’habileté, chez lui qui ne décrit jamais, qui jamais ne s’attarde à se bercer avec des musiques de mots ; chez lui qui fait jaillir tout le charme de son œuvre uniquement de la conversation de ses personnages, du froissement de leur caractère, du choc de leurs volontés et de leurs passions. Je pense qu’on pourrait comparer son style à la toilette de ces femmes, dont l’élégance, bien qu’excessive, est tellement discrète qu’on la remarque à peine.

Je crois que si Octave Feuillet pouvait m’entendre, il me saurait gré de ne parler qu’en dernier lieu de son esprit ; il devait le considérer comme secondaire, dans son œuvre dont la portée morale l’inquiétait avant tout. Et cependant ; qui a été plus spirituel que lui ! Il a de l’esprit même entre les lignes, et du plus fin, et du plus inattendu. Je sais deux ou trois de ses livres qu’un lecteur, désireux