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La vie et le charme… Octave Feuillet possédait le secret magique de les donner aux fantômes de son imagination. Ce secret-là, on n’arrive jamais à le posséder si, en naissant, on ne l’a reçu de quelque fée ; ce secret-là, pour un écrivain, est tout, et suffit d’ailleurs pour assurer à ses œuvres cette durée un peu longue qu’on est convenu d’appeler l’immortalité.

La vie et le charme d’un livre ! parmi les choses indéfinissables ces deux-là sont au premier rang ; où résident-elles ?… on n’en sait rien : on les constate sans les expliquer, on en subit l’entraînant sortilège, — et voilà tout.

Ah ! il le possédait pleinement, ce secret de donner le charme et de donner la vie, lui qui savait nous faire pleurer et nous faire sourire. J’ai dit qu’il se laissait prendre lui-même aux airs de réalité qu’avaient ses personnages, qu’il s’attachait à leurs quasi-existences, au point d’éprouver, après chaque livre achevé, un instant d’étrange et imaginaire douleur, comme si des êtres chéris se fussent effondrés tout à coup, dans ce vide où ne venaient de tomber que ses propres chimères. Eh bien ! nous, en le lisant, nous subissons, jusqu’à l’illusion douce ou cruelle, tous ces mirages créés par lui et auxquels il se trompait lui-même.

Nous parcourons toujours jusqu’au bout ses livres à lui, avec un intérêt grandissant — et une hâte involontaire, malgré les ravissants détails qui nous arrêtent en chemin et auxquels nous aimons ensuite revenir ; nous suivons toujours, et quelquefois avec des larmes, ses personnages, jusqu’au point final qui brusquement nous les replonge dans la nuit. Peut-être même les suivons-nous avec