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modeste pour porter ma fortune nouvelle, et tant que dura le trajet jusqu’à mon navire, tout en glissant sur l’eau tranquille, je déchirai un à un les papiers bleus, lisant de près, aux dernières lueurs rouges du jour, dans le beau crépuscule commençant, ces félicitations qui m’arrivaient de toutes parts, et où les mots joie, bonheur, revenaient toujours à côté du mot gloire. Dans ce calme du jour de printemps qui finissait, cet instant me semblait solennel — comme chaque fois qu’un grand pas vient d’être franchi dans la vie ; je sentais même une sorte d’angoisse étrange, comme si un manteau trop magnifique, — mais en même temps trop lourd, trop immobilisant eût été tout à coup jeté sur mes épaules. Et puis, je songeais à celui dont le départ m’avait ouvert ses portes, et qui précisément avait été, dans le monde des lettres, le premier déclaré de tous mes amis intellectuels ; il me semblait qu’en prenant sa place, je le plongeais plus avant dans la grande nuit où nous allons tous.

Il fallut mon arrivée à bord, la bonne et franche joie du très charmant amiral qui nous commandait, la fête que me firent mes chers camarades du carré, pour me donner enfin à entendre que cette gloire un peu effrayante était vraiment une chose heureuse ; — et j’avoue, par exemple, que je finis très gaiement la soirée au milieu d’eux.

À beaucoup de gens superficiels, il doit sembler que nous représentions, Octave Feuillet et moi, deux extrêmes, ne pouvant être aucunement rapprochés. Je crois au contraire qu’au fond notre conformité de goût était complète.

Il est vrai, nous avons peint des scènes et des figures