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celui qui fut son savant et dévoué collaborateur : « O mon ami, s’écria-t-il, ne faites jamais de dictionnaire. »

On a peine, en effet, à se figurer une telle somme de travail. Lui-même a eu la coquetterie de compter que si le Dictionnaire, sans le supplément, était composé sur une seule colonne, cette colonne aurait 37 kilomètres 525 mètres 28 centimètres, à peu près la distance de Paris à Meaux.

La Fontaine, qu’il aimait à citer, lui avait donné pour devise : Patience et longueur de temps… Dans une vie tout absorbée par la pratique de cette maxime, sa solitude était cependant toujours ouverte. S’il risquait d’être troublé par quelque visite, il ne voulait pas, pour échapper à un importun, s’exposer à perdre l’occasion d’un service à rendre.

C’est au moment où il était dans la pleine activité de son travail que la veuve d’Auguste Comte vint le prier d’écrire la vie de son mari. M. Littré résiste, objecte son Dictionnaire qui absorbe tout son temps, promet de se consacrer sans réserve, dès qu’il l’aura achevé, à la tâche que Mme Comte lui demande de s’imposer. Celle-ci insiste avec opiniâtreté, faisant appel à la reconnaissance qu’il doit au fondateur de la philosophie positive. M. Littré accepte enfin. Avec une résignation surprenante il modifie l’ordre de son travail du Dictionnaire, prend sur ses heures de repos et trouve le temps de composer une biographie d’Auguste Comte, intitulée : Auguste Comte et la philosophie positive, qui n’a pas moins de six cents pages.

Il était au Mesnil le médecin consultant de tout le village. Prolongeant ses veilles jusqu’à trois heures du matin,