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dessus de cette table apparaît — visible témoignage de la profonde tolérance de M. Littré — une image du Christ.

Ce fut dans cette retraite que M. Littré composa la plus grande partie de son Dictionnaire. Avec quelle patience et quel courage, pour ainsi dire, surhumains, il rassembla les matériaux d’une œuvre que l’on a signalée à juste titre comme un monument national !

« Je fus le premier, dit M. Littré, à vouloir soumettre de tout point le dictionnaire à l’histoire. » Rompant avec l’habitude de donner comme exemples des phrases arbitraires, il s’imposa l’obligation de citer, pour chaque mot, des phrases tirées des meilleurs écrivains, non seulement de la langue classique, mais encore des textes de l’ancienne langue, depuis le XIe siècle jusqu’à la fin du XVIe, s’attachant à tous les sens par lesquels le mot a passé, n’omettant ni les archaïsmes ni les néologismes, ni les contraventions à la grammaire, attentif aux acceptions détournées ou singulières, et recherchant toujours de préférence les exemples qui se recommandent par l’élégance de la forme, la valeur de la pensée, ou qui intéressent par l’histoire des idées et des mœurs. — Comme on l’imagine aisément, M. Littré, après avoir employé des années à réunir toutes ces citations, en passa plusieurs autres encore à les remanier, classant, ajoutant, rectifiant sans cesse. Avec cette candeur qu’il avait en toutes choses, il disait : « Que de fausses routes j’ai suivies ! Que de tentatives avortées ! Je revenais sur les pas déjà faits, je m’égarais dans un labyrinthe de pensées, toujours sur le point de perdre courage. » Un jour qu’il s’adressait à M. Beaujean, à