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le National

Dites-lui que je ne sais personne à Paris capable d’écrire son article sur Herschel, et que je rougis de m’être donné pendant trois ans comme le rédacteur en chef d’un journal dans lequel il se contentait d’une tâche si au-dessous de son savoir et de son talent. »

Carrel voulut dès lors faire de M. Littré un rédacteur politique. Mais, trop modeste pour accepter cette situation, M. Littré était en même temps trop timide pour l’occuper.

Sainte-Beuve, dans ses Causeries du Lundi, a finement retracé le caractère de l’homme qui ne sait ni se produire ni prendre une initiative. « Un homme sincèrement modeste et humble, dit-il, peut être très habile sur certains points, très courageux de résistance sur certains autres, mais il y a fort à penser qu’il est incapable d’une certaine initiative, d’un esprit d’entreprise et de poursuite, d’un essor complet et libre de ses facultés, et c’est parce qu’il se sent instinctivement inférieur à un tel rôle et à une telle responsabilité qu’il est si craintif et si rougissant de se produire, si en peine lorsqu’il s’est trop avancé… » M. Littré se reconnaissait dans ce portrait et il s’en faisait la très sincère application. « Si je ne voyais, disait-il avec charme, que cette description de Sainte-Beuve est toute générale, et embrasse une classe d’esprits, je la croirais particulière et tracée pour moi. »

Toutefois un mérite tel que le sien n’est pas si commun que toute la modestie du monde puisse l’empêcher de se faire jour et d’attirer l’attention. Dès l’année 1831, le libraire Jean-Baptiste Baillière, lié avec tous les médecins de cette époque, avait proposé à M. Littré de s’associer