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cadets allaient au loin chercher fortune. Au commencement du XVIIe siècle, l’un de ceux-ci, François de Loménie, fut évêque de Marseille, et son neveu, qu’il avait emmené avec lui, fit souche en Provence. Cinquante ans plus tôt, à Paris, un autre, Martial, tué dans la Saint-Barthélémy, avait fondé la maison des Loménie de Brienne. De cette branche naquirent le cardinal de Loménie, premier ministre sous Louis XVI, et son frère, le comte de Brienne, ministre de la guerre, bienfaiteur de sa province, dont trente villages vinrent demander la grâce à la Convention. Celui-ci, n’ayant pas d’enfants, avait cherché des fils adoptifs dans sa famille de Provence et dans sa famille du Limousin ; la première offrait trois jeunes gens presque élevés, militaires ou marins ; ils furent choisis, et il leur en coûta cher, car ils furent guillotinés tous les trois, le même jour que Madame Elisabeth. — Dans la modeste maison du Limousin, on se racontait ces tragédies et aussi ces grandeurs ; on se souvenait volontiers d’avoir « cousiné » avec une famille historique. Ce souvenir dura dans M. de Loménie, non pas étalé ou même visible, mais enfoui, intime, et d’autant plus efficace. Il y a là un trait de caractère, et je ne crains pas de le marquer. Dans une âme vulgaire, un pareil sentiment n’eût fait que multiplier les prétentions et enfler la vanité ; chez M. de Loménie, il a trempé la volonté et affiné la conscience. Un cœur noble se dit que noblesse oblige ; par suite il s’interdit beaucoup de complaisances qu’un autre se croirait permises, et il se commande beaucoup d’efforts dont un autre se croirait dispensé.

Entre la qualité et la condition de la famille, le contraste était grand. Rien de moins seigneurial que la vie d’un