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avoir de spécieux ou de sincère dans quelques-unes des critiques qui lui étaient adressées sous cette formule banale et dénigrante. En adoptant pour sa thèse de prédilection l’éloge du devoir opposé à la passion, le respect du foyer, la défense de la simplicité et de la vérité morales, en soutenant ces causes sacrées de toute son émotion et de toute son ironie, n’a-t-il pu quelquefois dépasser le but ? n’a-t-il pu risquer de refroidir, de paralyser les plus louables élans du cœur et de l’imagination, en voulant les contenir dans la mesure du vrai ? A-t-il eu le tort, dans un siècle qui ne paraît point menacé de périr par l’enthousiasme, de poursuivre l’enthousiasme avec trop de rigueur, même sous quelques-unes de ses formes les moins respectables ? Faut-il plaindre, par exemple, ces légions d’amoureux sacrifiés dont il a jonché la scène, après les avoir dépouillés de leur auréole, et convaincus, malgré leurs serments éternels, d’une éternelle fragilité ? Faut-il déplorer tant de victimes intéressantes offertes en holocauste aux heureux maris, un peu surpris de rencontrer pareille fortune au théâtre ?

Messieurs, si ce reproche était fondé dans ce qu’il a de sérieux, s’il était vrai, en effet, que Scribe se fût fait un jeu de glacer, d’étouffer dans les âmes ce don précieux de l’enthousiasme, qui ne peut être classé sans doute parmi les vertus régulières, mais qui, à certaines heures, peut les suppléer toutes et les dépasser toutes, quant à moi, je l’avoue, j’aurais préféré taire ce grief que de l’en absoudre. Mais, à qui se pénètre sincèrement de l’esprit de son œuvre, rien ne parait plus souverainement injuste qu’une telle accusation. Car, s’il est de la bourgeoisie, il en est le poète, il lui plaît comme il faut lui plaire, et comme elle aime qu’on lui