Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/84

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trait, l’entrain du dialogue, tout, chez Scribe, dénonce les qualités les plus authentiques et les plus goûtées du caractère et de l’esprit français, pour les faire goûter davantage. C’est avec ces séductions qu’il a parcouru l’Europe, comme un de ces jeunes et brillants colonels dont il éclaire ses tableaux, et que, comme eux, il l’a conquise.

Cependant, pour avoir tout entier le secret de cette popularité incomparable, il faut aborder sans faiblesse une partie délicate de mon sujet ; il ne faut pas craindre de prononcer, à la louange de Scribe, un mot qui lui a été trop souvent jeté comme une amère critique, ce mot de bourgeois, qu’on s’étonne de trouver avec l’accent du dédain et de la raillerie dans la bouche des enfants de la France moderne. Oui, sans doute, ce fut un des moyens d’action les plus puissants de cet aimable génie, que son accord intime, cordial, avec les principes, les sentiments, les impressions de cette classe moyenne, dont il était lui-même issu, et qui compose l’immense majorité et le fond même du public de nos jours : mais jamais moyen d’action ne fut plus légitime, puisque Scribe le tire tout entier de la veine la plus sincère de son talent et des inspirations les plus saines de sa conscience. Et certes ce titre de bourgeois, ce n’est pas lui qui l’eût renié ; il l’eût plutôt revendiqué avec fierté, au nom de son père et au sien, au nom de son origine modeste et de sa brillante fortune, pur ouvrage de ses mains ; au nom de son travail, de son indépendance, de sa probité, de sa vie sans tache, et de toutes ces vertus bourgeoises qu’il pouvait professer hautement, car il les pratiquait.

Je n’affecterai pas toutefois d’ignorer ce qu’il pouvait y