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mais de cette sympathie profonde et presque affectueuse qui l’unissait au public et qui lui survit. — Un des arts les plus difficiles, dans le domaine de l’invention littéraire, c’est celui de charmer l’imagination sans l’ébranler, de toucher le cœur sans le troubler, d’amuser les hommes sans les corrompre : ce fut l’art suprême de Scribe. Dans quel monde souriant, lumineux, consolant, sa poétique familière transporte le spectateur ! À peine le rideau levé, et le tableau entrevu, cette douce magie vous pénètre : c’est une treille devant la porte d’une auberge, et quelque jeune soldat qui passe en chantant ; c’est un coin de parc que traverse une jeune fille vêtue de blanc, un salon d’été où rêve une veuve de vingt ans, quelquefois une grand’mère qui n’en a pas trente… ; car, dans ce pays féerique, il semble qu’il n’y ait qu’une saison, la saison, du soleil, et qu’un âge, la jeunesse ! Comment s étonner qu’on se plaise tant à y vivre ? Mais il nous captive encore, ce pays, par un attrait plus sérieux, par l’honnêteté profonde du peuple qui l’habite. Cette honnêteté, Messieurs, qui me parait être le caractère le plus saisissant de l’œuvre générale de Scribe, on peut l’exprimer d’un trait : parmi tous les personnages qu’évoqua sa fiction féconde, je ne pense pas qu’on rencontre une seule fois, sous une couleur distincte, un des types les plus traditionnels et en apparence les plus indispensables du théâtre : — le traître. Sa plume, et l’on peut dire — son cœur, se refusèrent toujours à tracer cette odieuse figure, comme toutes les faces répugnantes de l’humanité. Il semblait croire, et l’on est ravi de croire pendant une heure avee lui, que dana le monde, comme dans son théâtre, le mal ne dépasse jamais la mesure où il fait rire. Ou retrouve la marque de cet opti-