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notre esprit et à notre langue. Il suffit, pour s’en convaincre, d’entendre ou de relire quelques-uns de ces couplets qui, dans les premières comédies de Scribe, préparent et retiennent le trait le plus heureux d’un dialogue, d’une situation, d’un dénoûment, pour le laisser jaillir soudain avec une force et une souplesse redoublées. C’est quelquefois la sensibilité du poëte, quelquefois la leçon morale, souvent la satire, qui semblent ainsi se concentrer et se recueillir afin d’éclater plus sûrement dans la dernière rime.

Toutefois cet éloge de la chanson, dans la bouche de M. Scribe, s’il était juste à beaucoup d’égards, était en même temps plus généreux, plus désintéressé que sa modestie ne voulait le croire. Déjà, en effet, à ce point de sa carrière où nous l’avons conduit, les intermèdes chantés n’ajoutaient plus à ses ouvrages qu’un agrément, toujours très-vif et très-goûté sans doute, mais très-accessoire. Ses vaudevilles prenaient de plus en plus le ton de la comédie : c’était le temps où son talent adoptait une de nos scènes secondaires, pour lui assurer, pendant de longues années, la première place dans la faveur du public. Ce serait, Messieurs, rappeler les plus charmants loisirs et les plus douces veilles de plusieurs générations que de nommer toutes les œuvres délicates qui se succédèrent alors sous cette plume ingénieuse, depuis l’Héritière, la Haine d’une femme, le Diplomate, Estelle, le Mariage de raison, jusqu’au Budget d’un jeune ménage, à la Chanoinesse, à la Grand’Mère… Mais vous comprenez. Messieurs, et vous pardonnez l’embarras que j’éprouve ici : c’est le seul que puisse faire éprouver l’éloge de M. Scribe ; c’est l’embarras des richesses. Je n’ose compter une à une devant vous toutes les perles de cet écrin ; mais j’ose dire