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les caprices, les goûts particuliers des temps, vous les étudiez avec une réserve qui vous sied, mais avec une bienveillance qu’on aime. Vous restez sûrement les maîtres de l’opinion, parce qu’en la gouvernant vous la consultez. — Mais, pour première loi, l’Académie se consulte et se respecte elle-même : indulgente dans le choix des personnes, j’en suis la preuve, elle n’a point de complaisance sur les principes : avant d’admettre un mot nouveau dans cette noble langue dont elle est la gardienne, ou une forme nouvelle dans cette littérature dont la dignité lui est confiée, elle laisse mûrir la vérité ; elle ne risque jamais d’imprimer légèrement à quelque fantaisie de la mode, à quelque entraînement passager du goût, la consécration souveraine dont elle dispose. Elle constitue, si j’ose le dire, une sorte de postérité permanente, qui juge tard parce qu’elle juge en dernier ressort.

C’est ainsi, Messieurs, que le genre du roman, qui assurément n’est pas nouveau en France, puisqu’il en faut peut-être rechercher au-delà de ce siècle les excellents modèles, a dû occuper longtemps votre attention avant de gagner votre suffrage. Plus d’une fois, sans doute, avant ces derniers temps, le roman avait pénétré dans cette enceinte, et sous quels patronages illustres, vous le savez ; mais il ne s’y présentait qu’en s’effaçant dans la lumière d’œuvres plus accréditées et plus imposantes, et l’on peut dire qu’il y était plutôt pardonné qu’admis. Malgré de grands exemples, en effet, vous n’étiez pas encore assurés, et vous n’aviez aucune raison de l’être, que le roman s’offrît comme une forme légitime de notre littérature nationale, qu’il pût y être jamais une gloire ou un danger véritables, et qu’à ce double