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quelle était la chose qu’on devait faire en tout lieu : Profiter du bien et du mal qui arrivent.

Thalès, autre sage de la Grèce, était un grand physicien ; c’était aussi, au besoin, un grand spéculateur. Ainsi quelques jeunes gens de Milet avaient reproché à Thalès que sa science était fort stérile, puisqu’elle le laissait dans l’indigence. Il prévit, par ses observations astronomiques, que l’année serait très-fertile, et il acheta avant la saison tous les fruits des oliviers qui étaient autour de Milet. La récolte fut fort abondante, et Thalès en tira un profit considérable. Mais il n’était spéculateur que pour donner une leçon à ses critiques, et il ne s’était fait millionnaire que pour prouver que la science n’est pas aussi stérile qu’on le dit. Il distribua ses bénéfices au peuple, au lieu de les garder pour lui ou pour ses actionnaires, démentant ainsi le rôle de financier qu’il avait pris un instant.

Bias est un grand orateur, de plus, il est poëte ; mais ses maximes sont des maximes de sagesse pratique, et ses poëmes enseignaient à tout le monde la manière dont chacun pouvait vivre heureux et comment on pouvait bien gouverner la république en paix et en guerre. C’est Bias qui disait : Aimez vos amis avec discrétion ; songez qu’ils peuvent devenir vos ennemis. Il est vrai qu’il ajoutait : Haïssez vos ennemis avec modération car il se peut faire qu’ils soient vos amis dans la suite. Ces deux adages ne témoignent pas d’une âme bien sensible, mais ils témoignent d’une prudence remarquable. Quoique grand orateur, il disait encore : Ne vous pressez pas de parler : c’est une marque de folie. Il savait donc gouverner son talent et sa vanité : quelle habileté rare ! Il comprenait l’ascendant du silence. J’ai vu, en