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aussi l’exemple de la virilité politique du caractère, et les murs de ce palais n’oublieront jamais qu’il y entra sans pouvoir prononcer le discours que lui. imposaient vos suffrages et que lui commandait sa reconnaissance pour vous. D’autres, comme lui, payaient à leur foi religieuse ou à leur indépendance personnelle cette dette du courage devant la toute-puissance. M. de Bonald méritait que sa Législation primitive fût broyée sous le pilon de la censure. Le vieux Ducis, insensible à la victoire, conservait intacte sous ses rayons la couronne de ses cheveux blancs. Madame de Staël expiait par dix années d’exil un silence que rien n’avait séduit. Delille chantait debout les règnes de la nature, et il lui était permis de dire dans un mouvement d’orgueil légitime :

On ne put arracher un mot à ma candeur,
Un mensonge à ma plume, une crainte à mon cœur.

Je m’arrête aux morts, Messieurs, car le tombeau souffre la louange, et, en soulevant son linceul, on ne craint pas de blesser la pudeur de l’immortalité. Mais ce sacrifice me coûte en présence d’une assemblée où je vois siéger les héritiers directs des premières gloires littéraires de notre âge : des orateurs qui ont ému trente ans la tribune ou le barreau, des poètes qui ont découvert dans l’harmonie des mots et des pensées de nouvelles vibrations, des historiens qui ont creusé nos antiquités nationales ou qui ont redit à la génération présente le courage de ses pères dans la vie civile et dans la vie des camps, des publicistes qui ont écrit pour le droit contre les regrets du despotisme et les rêves de