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vertus civiques. Ces deux hommes pourtant ne furent pas, au dix-huitième siècle, les seuls représentants de la gloire et de l’efficacité littéraires. Buffon y écrivait de la nature avec majesté, et Montesquieu, élevé par trente ans de méditations au-dessus des erreurs de sa jeunesse, prenait place, dans son Esprit des lois, à côté d’Aristote et de Platon, ses prédécesseurs, et les seuls, dans la science du droit politique. Il eut l’honneur de dégager de l’irréligion vulgaire les principes d’une saine liberté, et on ne peut le lire qu’en rencontrant à chaque page des traits qui flétrissent le despotisme, mais sans aucun penchant pour le désordre et sans aucune solidarité avec la destruction. Il est juste de dire que, si Jean-Jacques Rousseau a été, dans son Contrat social, le père de la démagogie moderne, Montesquieu a été, dans son Esprit des lois, le père du libéralisme conservateur où nous espérons un jour asseoir l’honneur et le repos du monde.

J’ai hâte, Messieurs, d’arriver à ce siècle qui est le vôtre, et où je vais retrouver M. de Tocqueville à côté de vous. Aussi chrétien dans ses grands représentants que le siècle de Louis XIV, mais plus généreux, plus ami des libertés publiques, moins ébloui par la puissance et l’éclat d’un seul, notre siècle s’ouvrit par un écrivain dont il semble que la Providence eût voulu faire le Jean-Jacques Rousseau du christianisme. Poëte mélancolique dans une prose dont il eut le premier le secret, M. de Chateaubriand frappa au cœur de sa génération comme un pèlerin revenu des temps d’Homère et des forêts inexplorées du nouveau monde. Mais en même temps qu’il inaugurait ce style où nul ne l’avait précédé, où nul ne l’a égalé depuis, il nous donnait